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Que les divinités sauvent mon enfant
La naissance : un moment dangereux
La mère qui venait de mettre au monde un enfant se reposait une quinzaine de jours. Notons, au passage, que la naissance d’une fille était aussi bien accueillie que celle d’un garçon ; jamais, au cours de l’histoire pharaonique, on ne tua ni n’abandonna les filles comme en Grèce et à Rome.
Au bonheur d’une naissance succède immédiatement l’inquiétude. Prendre forme sur cette terre, pour un nouvel être, c’est sortir de l’indifférencié, se particulariser, franchir un passage difficile et s’exposer à de multiples dangers. En naissant au monde des hommes, l’enfant est fragile.
Dès qu’un nom lui est attribué, il devient un vivant à part entière, mais aussi une proie tentante pour la mort, cette voleuse qui vient dans les ténèbres et tente d’emporter avec elle le nourrisson.
Débute alors un combat acharné entre la mère et la mort[111].
Une magie contre la mort
La mère dispose d’un précieux recueil de formules, expérimentées avec succès par des générations de femmes ; elles lui permettent de se protéger elle-même contre les mauvais esprits, les revenants, les formes errantes et obscures, et de mettre son enfant à l’abri de ces forces négatives[112]. Elles cherchent à embrasser l’enfant, et ce baiser sera mortel. Ces sinistres fantômes sont facilement identifiables : ils ont le visage dans le dos et regardent en arrière. À la mère d’être constamment vigilante pour qu’ils ne s’approchent pas du berceau.
La mère proclame que chaque partie du corps de son enfant est celle d’une divinité ; en conséquence, aucun démon ne le touchera. Elle fait appel à la protection du ciel et de la terre, de la nuit et du jour, d’Hathor, de Râ, de la pierre fondamentale, des sept dieux qui mirent la terre en ordre alors qu’elle était déserte. Elle demande aux divinités de protéger le nom de l’enfant, le lieu où il se trouve, le lait qu’il boit, le sein contre lequel il s’appuie, le vêtement qu’il met. Les formules sont à répéter matin et soir sur une boulette d’or, des grains d’améthyste et un sceau. Que la mort qui vient dans l’ombre disparaisse, exige la mère, que son visage soit détourné, qu’elle oublie pourquoi elle est venue ; elle n’embrassera pas l’enfant, elle ne le prendra pas !
Chaque Égyptienne était une Isis pour son nourrisson ; aussi devait-elle le caresser souvent et le magnétiser, comme la grande déesse l’avait fait pour Horus. La main maternelle émettait une énergie positive, indispensable à la bonne santé de l’enfant.
À la disposition de la mère, toute une série d’amulettes et de talismans[113] : plaques d’ivoire, plaquettes et figurines de faïence sur lesquelles figuraient de bons génies, capables de repousser les forces du mal, tels Bès, Thouéris ou Ahâ, « le combattant ». Dans la tombe de Bébi, à El-Kab, et dans celle de Djehouti-Hotep, à El-Bersheh, on voit des nourrices brandir des bâtons en forme de serpents pour dissiper les ténèbres destructrices. Chats, antilopes, singes, femmes nues disciples de la déesse Bastet protègent l’enfant, pour lequel il est excellent de jouer de la musique. Au cou de l’enfant, comme à celui de la mère, une amulette complète le dispositif de fortifications magiques contre la mort.
Le décès prématuré d’une fillette
L’issue du combat ne fut pas toujours favorable à la mère et à l’enfant ; la mort était considérée comme faisant partie intégrante du processus cosmique et, malgré la souffrance, apparaissait comme une étape de la vie, laquelle allait bien au-delà de la naissance et de la mort physiques.
À l’époque tardive sont formulées des expressions de révolte contre le trépas. Ainsi, le texte d’une stèle donne la parole à une fillette morte très jeune, et qui considère son sort comme une injustice[114] : Je vénère ton ka, maître des dieux, bien que je ne sois qu’une enfant ; le malheur m’a frappée, alors que je n’étais encore qu’une enfant ! C’est un être qui n’a commis aucune faute qui rapporte ces faits. Moi, une fillette, je gis dans un endroit désertique, j’ai soif alors qu’il y a de l’eau près de moi. J’ai été trop tôt arrachée à l’enfance… Je suis trop jeune pour être seule, moi qui étais joyeuse de voir beaucoup de gens et qui aimais être gaie ! Ô roi des dieux, maître de l’éternité, vers qui tous viennent, donne-moi du pain, du lait, de l’encens, de l'eau qui vient de ton autel, car je suis une fillette qui n’a pas commis de faute !